«Bas les masques!» La rapine et l’anoyme

Depuis Catharsis
 

Une version légèrement remaniée de ce texte a été publiée dans l’édition du mois de mars 2012 du journal Le Couac

Vous avez peut-être entendu parler du projet de loi C-309 déposé dernièrement par une raclure de fond de parlement(1). Dégoulinant de sauce sécuritaire, il prévoit criminaliser le fait de cacher son identité, que ce soit à l’aide d’un masque ou de tout autre moyen. C’est tout simplement un autre joujou légal offert aux masses policières opprimées pour qu’elles puissent s’amuser lors des fastidieuses arrestations de masse et éreintants kidnappings ciblés; bébelle judiciaire dangereuse par ailleurs en ce qu’elle creusera davantage encore le clivage opiniâtre entre «bons» et «méchants» manifestant.es, sans parler de la triste manie des Naomi Klein et compagnie de voir dans la tactique du Black Bloc un complot reptilien (à ne pas confondre toutefois avec les hommes-crabes). Je vous offre en exclusivité de jeter un rapide coup d’œil sous ces masques qui effraient tant les bonnes gens à cravate et à matraque.

Je rencontre les terroristes domestiques dans un café étudiant du centre-ville de Montréal. Ils sont paisiblement en train de boire du café bio-équitable-de-destruction-massive et du yerba matté sûrement illicite et importé de quelque pays barbare limitrophe du Monde libre.

Moi : Alors, qu’est-ce que vous utilisez pour vous masquer, et comment êtes-vous devenus des pouilleux ?

Le terroriste : Je suis plutôt du genre cagoule. Comme celle que portent les bandits dans les films policiers, ou les bergers dans les montagnes de Haute-Savoie. Elle me protège du froid en hiver et des flics en été. Étonnamment, ils ne m’aiment pas trop, les flics. Ils me pointent quand je passe devant eux à la manif du 15 mars. Alors je leur montre un autre doigt. Moi non plus je ne les aime pas. Un jour, un de mes amis participait à une occupation de son université. Les flics sont finalement entrés et l’ont attiré dans un coin pour le tabasser. C’était un gars sans histoire, même pas anticapitaliste; un nouveau dans le coin qui voulait voir de quoi ça avait l’air, une occup’. Il votait même QS, le gars. C’est pour dire ! Naïf comme tout. Tellement naïf, en fait, qu’il a porté ça à la déontologie. Il s’est fait répondre qu’il manquait de preuves pour appuyer sa plainte. Il est même allé voir l’administration pour qu’elle lui donne les vidéos des caméras de surveillance, évidemment en vain. Nous, on avait même pas le cœur à rire de lui tellement il croyait que ça allait fonctionner. Le plus triste là-dedans c’est qu’aujourd’hui il a trop peur pour venir avec moi à la manif. Il suit encore une thérapie, je crois. C’est pour lui et d’autres gens comme lui que je suis là et que je fais ce que je fais.

Le criminel : Perso, je porte un t-shirt enroulé autours de ma tête. C’est pas luxueux, mais c’est pratique. Il est noir, comme d’ailleurs tout ce que je porte. Même en dessous, c’est noir. Ça tombe bien : j’suis anar. Je me fais chier avec ces sales racistes du SPVM tout au long de l’année, mais aujourd’hui je leur retourne la politesse. Aujourd’hui, on fait bloc. Tu piges ? Je sais bien qu’ils sont paddés, les criss. Mais peut-être qu’avec un coup bien placé…Et puis, on dira ce qu’on voudra, faut bien avouer que ça défoule. Il y a deux jours, un clochard s’est fait tuer par ces porcs. On a tout de suite fait imprimer des tracts qu’on a distribués dans la rue. Je m’occupais d’un segment de Ste-Catherine. C’est l’été et la ville l’a ouverte aux piétons. Hier, les porcs se sont mis à me suivre et à me filmer. Malheureusement, j’étais à visage découvert pour aborder les gens. C’est différent ce soir. On va leur montrer que l’impunité que les bourges accordent aux flics, elle est précaire et que nous, jamais nous ne pardonnerons.

Le voyou : Moi, j’ai un keffieh monté sur le nez. Il est blanc et rouge. Je me le suis procuré à l’UQAM, à la table du comité de solidarité avec la Palestine. Ils m’ont dit que cet argent allait aider à construire des écoles là-bas. Ça fait changement parce qu’ici mes taxes servent à construire des prisons. Je suis contre le régime d’apartheid israélien et l’impérialisme occidental. Le «choc des civilisations», comme ils l’appellent, qui d’ailleurs «ne se valent pas» toutes, a ajouté le Ministre français de l’intérieur (2). Ça me dégoûte. Alors je sors à des manifestations et je brandis un drapeau rouge. Je me prépare pour le 1er Mai, la journée des prolos. Avant, on défilait avec les syndicats mais c’est devenu dangereux. Entre l’anti-émeute et le service d’ordre, on savait plus où donner de la tête. Surtout qu’elle en recevait, des coups, cette tête. Une année, je me souviens, j’ai parlé de solidarité avec un dude de la FTQ. Je l’ai vu dans ce service d’ordre, plus tard, en train de livrer une manifestante aux policiers. J’en ai tiré une leçon : faut se méfier des flics, même ceux qui n’ont pas le badge.

Moi : Merci d’avoir accepté de me rencontrer. Bonne chance en prison, avec tous ces dangereux écolos.


(1) Plus spécifiquement Blake Richards, de l’espèce des conservateurs albertains dont on est particulièrement friands.

(2) «Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas.» Propos du ministre (UMP) Claude Guéant tenus le samedi 4 février dernier.

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